RALLYE : DAKAR 2023 – Le Dakar au repos, horizon Empty Quarter
Il se dit souvent que le Dakar se gagne sur les erreurs des autres.
Le verdict intermédiaire n’a bien sûr rien de définitif, mais le scénario de la première semaine illustre à merveille cet adage, les rivaux attendus de Nasser Al Attiyah ayant trébuché dans les grandes largeurs, de façon rédhibitoire pour les Audi et avec une carte encore prometteuse parmi les Hunter de BRX. La quête du titre s’annonçait sous les meilleurs auspices pour les RS Q e-tron E2, avec les victoires de Mattias Ekström sur le prologue et de Carlos Sainz le lendemain. L’Espagnol a même fait jeu égal avec Al Attiyah, pendant que Stéphane Peterhansel se relançait après une première alerte sonnée par des crevaisons en chaîne. Mais c’est sur la sixième étape, précisément au km 212, que les espoirs de victoire des Audi se sont envolés, ou plutôt écrasés au pied d’une dune qui a signifié l’abandon à Stéphane Peterhansel et à son copilote Edouard Boulanger, blessé à une vertèbre par le choc, pendant que la voiture endommagée de Sainz devait attendre plusieurs heures avant d’être récupérée par le camion d’assistance de l’équipe. Ekström connut le lendemain un sort aussi peu enviable après avoir cassé une suspension : le Suédois pointe maintenant à plus de sept heures de Nasser.
L’entame du rallye semblait tout aussi encourageante pour les quatre Hunter alignés par l’écurie Prodrive, qui ont commencé à subir les rigueurs du terrain saoudien avec une avalanche de crevaisons reléguant Loeb comme Terranova, Chicherit et Zala à plus d’une heure du sommet du général au soir de l’étape 2. Depuis, en dépit d’une cabriole et d’une panne de direction assistée, Sébastien Loeb s’est lancé dans une opération de reconquête du terrain, qui le replace après deux victoires d’étapes au quatrième rang de la hiérarchie, avec dans son viseur immédiat le podium à environ une demi-heure.
Pour l’heure, Nasser Al Attiyah parait hors d’atteinte, après avoir franchi avec calme et succès tous les obstacles qui se sont présentés devant lui. Ni les caillasses tranchantes comme des couteaux, ni les dunes les plus rotors, ni les plus fines subtilités de navigation n’ont fait vaciller le duo qu’il forme avec Mathieu Baumel. Et ils n’ont pourtant pas roulé à l’économie : trois nouvelles victoires d’étapes sont tombées dans leur escarcelle sur la route de Riyadh. Au général, le matelas de Nasser s’est épaissi jusqu’à 1h03’ sur son premier poursuivant, Henk Lategan. Sans tirer de conclusion hâtive, un coup d’œil aux archives permet d’apprécier le travail réalisé par le seigneur des sables : lors de ses quatre précédentes victoires (2011-15-19-22), il n’avait jamais franchi la journée de repos avec plus de 50 minutes d’avance. L’année dernière, c’est Yazeed Al Rajhi qui le suivait à distance raisonnable. Le pilote saoudien est le seul atout majeur de Toyota qui soit sorti du jeu, bien qu’il ait empoché une étape. Pour le reste, les Toyota toutes chapelles confondues relèvent le défi du Dakar 2023 avec classe. Derrière Nasser, le podium est pour l’instant occupé par deux coéquipiers, Henk Lategan et le nouveau venu Lucas Moraes (à 1h20), tandis que Giniel De Villiers (5e) et Romain Dumas (6e) assurent la densité des Hilux dans l’élite.
MOTOS : C’EST L’AMÉRIQUE
À l’image des premiers jours chez les autos, la course des motos a débuté par l’auto élimination sur chute de deux favoris. D’abord avec le tenant du titre Sam Sunderland dans l’étape 1. Le surlendemain avec Ricky Brabec, le vainqueur du Dakar 2020 occupant alors la tête du Dakar. Mais l’Amérique n’avait pas pour autant mis son drapeau en berne. L’autre Californien Mason Klein, pour ses premiers pas dans la catégorie RallyGP, reprenait le flambeau le lendemain et dominait avec la fougue de ses 21 ans la hiérarchie du Dakar avant d’assister à son tour à la prise de pouvoir de « Chucky » Sanders. L’Australien, qui dispute son troisième Dakar, a occupé deux jours la tête de la course avant de tomber malade. Et c’est le dernier pilote officiel engagé par les équipes du clan autrichien, Skyler Howes, qui s’est emparé pour quatre jours consécutifs du classement général. À la journée de repos, le leader américain a beau cacher son visage derrière des moustaches rétro à la mémoire de son grand-père, c’est bien une prise de pouvoir de la génération montante qui a essoré ses adversaires entre les pluies de cette première semaine.
CAMIONS : LOPRAIS, PATRON SOUS PRESSION
Et si le destin d’Ales Loprais prenait réellement forme, 17 ans après sa première participation au Dakar en tant que navigateur de son oncle Karel, une des réelles légendes de la catégorie, sextuple vainqueur au volant de camions Tatra ? Le neveu s’est classé 3e du dernier Dakar africain en 2007, mais n’a plus jamais atteint ce niveau, bien qu’il ait rodé aux places d’honneur derrière les camions russes et néerlandais (5e en 2019 et 2021, par exemple). Cette année, l’absence des tenants du titre a justement laissé place à une confrontation entre les différentes écoles tchèques et néerlandaises. L’explication a été dominée par Ales Loprais, installé au sommet de la hiérarchie depuis sa victoire dans la deuxième étape. Mais attention, le dépositaire de la tradition ne s’est pas encore débarrassé des multiples menaces qui pèsent sur son grand projet. Martin van den Brink ne pointe qu’à 16 minutes, une paille chez les camions. On assiste par ailleurs à une relève de générations dans la catégorie. Côté Praguois, c’est Martin Macik qui s’affirme comme le plus gros vainqueur de spéciales du Dakar (3 étapes + prologue), même s’il ne pointe qu’au 5e rang du général. Le fiston Van den Brink, Mitch, est quant à lui devenu à 20 ans le plus jeune vainqueur d’étape dans la catégorie, tandis que Janus Van Kasteren, l’héritier de la maison De Rooy, est aussi rentré dans le club des vainqueurs d’étapes et pointe en 3e position à la journée de repos. Ils sont chauds, les jeunots !
PROTOTYPES LÉGERS : DE MEVIUS EN TOUTE DISCRÉTION
Malgré une première participation cauchemardesque qui s’est soldée par un abandon l’an dernier, Guillaume De Mevius avait tout de même affiché son potentiel en remportant une étape. Certes, il n’a pas été aussi dominant que son coéquipier de l’époque Seth Quintero, mais le Belge a su en tirer des enseignements. De Mevius ne compte pour le moment qu’une seule victoire, mais il mise sur la régularité. Fort de ses sept Top 5 depuis le prologue, il mène le classement général. Bien sûr, De Mevius a également profité des déboires de ses adversaires à commencer par « Chaleco » Lopez, le tenant du titre. La chance n’est clairement pas du côté du Chilien cette année. Une rivière en crue infranchissable dans l’étape 3 lui a fait du mal, un piège dans lequel Cristina Gutierrez est aussi tombée. Pour Quintero, c’est une roue perdue qui lui a coûté cher… lui qui, logiquement, aurait dû tout atomiser sur son passage. Mitch Guthrie a lui aussi connu son lot de déconvenues. Pour le moment, seul Austin Jones, vainqueur chez les SSV en 2022, parvient à défendre les intérêts du clan Red Bull puisqu’il pointe à seulement trois minutes de De Mevius. La victoire finale pourrait bien se jouer entre ces deux prétendants.
SSV : BACIUSKA TIENT BON… POUR LE MOMENT
Champion du monde de rallye-raid en titre chez les SSV, Rokas Baciuska remet sa couronne en jeu dès ce Dakar et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont nombreux à vouloir lui succéder. Parmi eux figurent les trois représentants de la famille Goczal : les frères Michal et Marek, et le fils de ce dernier, Eryk. Dès l’étape 1, Eryk Goczal est devenu le plus jeune vainqueur d’étape sur le Dakar, succédant ainsi à Seth Quintero. Pour montrer que ce n’était en rien la chance du débutant, il a remis le couvert lors de l’étape 4. Marek s’est quant à lui adjugé deux scratchs. Mais une fois encore, ce ne sont pas les victoires qui priment dans ce rallye, mais bien la régularité. Au jeu du contre-la-montre, Rodrigo Luppi De Oliveira a été l’un des plus habiles en menant le général de l’étape 3 à 6 avant de jouer de malchance et de perdre plus de 40 minutes. Ce coup du sort a nettement resserré le classement au soir de l’étape 7 avec un Top 5 en moins de 20 minutes. À la journée de repos, Baciuska mène toujours les hostilités, mais rien n’est joué. Pendant ce temps, un certain Gerard Farres, dauphin d’Austin Jones dans la catégorie l’an dernier, se fraye tranquillement un chemin vers le sommet. Rien ne sert de courir, il faut partir à point… et avec 16 Dakar au compteur (en incluant celui-ci), l’Espagnol le sait très bien.
QUADS : TRANQUILLE COMME GIROUD
Chez les quads, l’affiche de cette édition était le match retour entre Alexandre Giroud et Manuel Andujar. L’an passé, l’Argentin qui défendait son titre était sorti sur blessure et avait laissé le Français s’emparer de sa ceinture. Le mano a mano qui s’est engagé n’a pas duré. Le vainqueur du Dakar 2021 a vu ses espoirs de revanche s’envoler dans le 3e round de ce Dakar, laissant filer le tenant du titre dont la régularité ne laisse aucun doute sur ses chances de doubler sa mise. Giroud possède après 8 étapes une marge de 1h41’37. Pour Andujar, la deuxième place n’est pas acquise. Pablo Copetti qui avait partagé le podium avec Andujar en 2021 est à moins d’une minute de l’Argentin pour son 11e Dakar. Et Francisco Moreno Flores est à moins de dix minutes du podium qui devrait être âprement disputé.
CLASSIC : VIVA ESPAŃA
Les vérifications techniques avaient déjà donné le ton de cette troisième édition du Dakar Classic. Le temps du romantisme des précédentes éditions avec ses concurrents aux véhicules parfois aussi légèrement préparés que ceux des premières années du Paris-Dakar lui-même était révolu. Les spécialistes de la régularité européenne ont investi l’Arabie saoudite et les premières lignes des classements. C’est l’école espagnole qui domine ses concurrents italiens et belges après huit étapes. Juan Morena et son épouse Lidia Ruba d’une part et Carlos Santaolalla et Aran Sol i Juanoa d’autre part sont solidement installés aux commandes du général avec un avantage déjà conséquent pour le couple au Toyota HDJ 80 numéro 778. Les Belges Erik Qvick et Jean-Marie Lurquin ainsi que leurs camarades Dirk Van Rompuy et Christiaan Michel Goris font de la résistance et peuvent même envisager de revenir sur l’équipage catalan. Les tenants du titre Serge Mogno et Florent Drulhon pointent en 7e position, avec le triple de points que les leaders. Véritables métronomes l’an dernier, les Français ne semblent pas en mesure de suivre le rythme des ibériques : la compétitivité a bel et bien gagné le Dakar Classic.