VOILE : Vendée Globe – Semaine 9 – Garder le sourire et accumuler les souvenirs
Ce n’est pas la météo instable, le stress des orages menaçants, les petites réparations par-ci, par-là, ni les pépins physiques dont elle parle le plus souvent qui, finalement, resteront de ses navigations au long cours.
Car si les petites joies et les grands bonheurs sont souvent relégués au second plan dans les carnets de bord et autres récits de mer, ce sont pourtant bien en eux que se trouve la réponse à l’éternelle question de ce qui peut bien pousser les marins à aller explorer ces lointaines contrées. Et Clarisse Crémer n’échappe pas à la règle !
« La balance des récits tombe souvent du mauvais côté : C’est tellement plus de boulot de décrire avec précision les joies liées à tout ce qui va. Et quitte à me lancer dans une mauvaise dissertation de philosophie, je dirais même que l’étendue des possibles détresses de ce monde me donne le vertige face à la vulnérabilité de nos joies » écrivait joliment Clarisse cette semaine, dans un texte intitulé « Partager la joie ». L’occasion pour la skipper de L’Occitane en Provence de raconter « une nuit étoilée, une vraie », où « la mer et le ciel se confondent pour ne former qu’un tapis doux ». Un doux moment de contemplation, à laquelle la navigatrice aspire depuis ses débuts en course au large, dotée d’une faculté d’émerveillement à toute épreuve, et qu’elle prend toujours autant de plaisir à partager avec ceux qui la suivent dans ses aventures. Car, bien consciente que les « grands maux et petits tracas semblent souvent intéresser beaucoup les spectateurs », Clarisse sait aussi nous transporter avec elle, à bord de son bateau, à contempler les étoiles et à vouloir « que le temps s’arrête », alors qu’elle se dit « pour la millième fois : « Quel privilège d’être ici » ».
Si la navigatrice peut se permettre cette petite pause hors du temps, c’est aussi grâce à un calme retrouvé, elle qui se trouve ralentie dans le front stationnaire au large de Rio depuis 48 heures. Et si les températures se montrent également plus clémentes au fur et à mesure de sa remontée vers le nord, l’heure n’est pourtant pas au repos ! Avec le thermomètre avoisinant les 40°C à l’intérieur de sa fusée bleue marine, Clarisse peine en effet à trouver le sommeil, alors que de violents orages tentent de perturber sa sérénité.
Le corps et l’esprit éprouvés
Le passage du Cabo Frio se montre en effet particulièrement compliqué en ce début d’année, générant des conditions plus qu’instables et des coups de tonnerre dont ont fait les frais les concurrents précédents. Une aubaine pour la skipper de L’Occitane en Provence, bien revenue sur ce groupe de devant, à la faveur d’une dépression qui l’a poussée jusqu’à la côté brésilienne, avant d’être cueillie à son tour par ce front froid persistant. Une aubaine relative donc, à peine remise d’un douloureux blocage de dos : « Sur le coup c’était ultra violent. J’avais une petite douleur dans l’omoplate et l’épaule depuis quelques jours mais je n’y prêtais pas trop attention, c’était plus une gêne. Et là tout d’un coup, je me suis penchée pour ramasser quelque chose, et ‘schla’, le cou et l’épaule complètement bloqués. La douleur était tellement intense que j’ai fait un malaise. Je n’ai pas perdu connaissance mais j’étais assise et j’avais un voile noir, en sueurs, avec la nausée… Je n’étais pas bien du tout pendant plusieurs minutes ! »
Rapidement remise grâce à une médicamentation adaptée sur avis des médecins de la course, Clarisse avouait que ce coup de mou avait été un véritable coup dur, venu « rajouter une couche » alors qu’elle se trouvait dans des conditions toniques et en petite forme : « J’avais 35 nœuds, j’étais au milieu de la dépression, il y avait une mer horrible, tu te sens vulnérable et fragile… Je n’étais pas dans une bonne phase, je me sentais fatiguée, j’avais l’impression de ne pas bien naviguer, de pas avoir les clés de ce que j’étais en train de faire. »
Pas de place pour la frustration donc, au moment de retrouver des vents plus légers, après avoir opté pour un contournement par l’Ouest de ce passage à niveau. Un pari réussi pour ses prédécesseurs, qui semble pour le moment porter ses fruits pour Clarisse aussi, redevenue 11e hier midi. Handicapée depuis les premiers jours de course par la perte de son grand gennaker et par le blocage d’un de ses vérins de foils dans l’Indien, elle regrettait pourtant n’avoir pu aller à l’Est, voyant son partenaire de jeu Benjamin Dutreux s’échapper, et Samantha Davies revenir peu à peu : « Je n’ai plus d’AIS, et ma VHF semble ne pas fonctionner non plus, donc je n’avais pas envie d’aller proche des côtes là où il y a le plus de bateaux… Mais la porte ne s’ouvrait pas du tout pour moi… Donc tout ça va se jouer sur un peu de réussite, il suffit d’avoir un peu plus de molle, des orages qui se vivent plus ou moins bien, des alizés plus ou moins Est… »
Sam, les retrouvailles
La chance aurait-elle donc tourné ? Également embêtée par ses récents soucis d’ordinateur, qui re-fonctionne mais sans certitude aucune que cela dure dans le temps, Clarisse reste sur le qui vive, continuant de s’accommoder au coeur d’une zone encore très perturbée. Flashée à 19,5 noeuds jeudi matin au gré d‘un grain, elle évolue difficilement ce vendredi aux alentours de 7 noeuds de moyenne, engluée dans le front qui se déplace au nord-est en même temps qu’elle. L’horizon devrait pourtant bientôt se dégager devant elle, lorsqu’elle devrait bénéficier d’une dépression qui lui permettra de garder du vent fort. L’ opportunité de s’échapper ?
De quoi, est tout cas, lui redonner le sourire et accrocher à son tableau des souvenirs, un nouveau « moment comme ça, fugace, intime et difficile à exprimer » et qui feront « bien plus qu’équilibrer la balance de mon récit ».