VOILE : Vendée Globe – L’Occitane Sailing Team, semaine 5 : « Je vis au jour le jour »
Après 32 jours de mer, l’heure est à un premier bilan pour Clarisse Crémer, solide 12e et impressionnante de constance, de combativité, mais aussi déjà de recul et de clairvoyance sur ses performances.
À quelques heures d’affronter une violente dépression et de franchir le 2e cap de son tour du monde, la skipper de L’Occitane en Provence répond à nos questions.
Clarisse, quel bilan tires-tu de ce premier mois de course ? La réalité correspond-t-elle à tes attentes ?
En toute honnêteté, je commence à être complètement perdue dans les notions de temps et de durée. Globalement je suis contente, ça aurait difficilement pu mieux se passer, que ce soit en termes d’état d’esprit ou de performance. Je suis vraiment contente d’être là où je suis.
C’est très différent d’il y a 4 ans, je profite vraiment d’une façon différente. En 2020, j’étais beaucoup dans l’émotion, j’étais très sensible et j’en ai pleinement profité émotionnellement. Avec aussi des moments plus difficiles. Cette fois-ci, je suis beaucoup plus « carpe diem ». Je vis au jour le jour et quand c’est dur, je me dis que ça va finir par aller mieux.
Ton objectif de performance modifie-t-il également ta façon de vivre la course ?
Il y a 4 ans, je n’aurais pas été capable de faire ce que je réalise en ce moment. J’étais dans la découverte la plus totale alors que cette année, mon objectif « performance » permet de discipliner mes journées, de rester concentrée sur cet objectif et donc de tenir dans la durée.
À la fois, c’est plus dur, parce qu’on exige plus de soi et de son bateau, et en même temps, c’est une rigueur de réglages, de changements de voile, qui fait que tu maintiens le cap. Sur du long terme, je pense que c’est la bonne recette !
Quel est ton rythme à bord, est quel est ton secret justement, pour tenir sur le long terme ?
C’est là toute la difficulté ! Entre les changements de météo, d’heures, les problèmes rencontrés à bord, la multitude de choses à faire sur un bateau.. C’est difficile d’avoir un rythme. Je me force à suivre le cycle du soleil et dès que je fais face à un moment de « latence », je me prépare un repas pour m’obliger à manger. Et comme plus je mange, plus je dors, et plus je récupère, j’essaie tant bien que mal de tenir cette cadence. Il y a aussi toujours l’option de réduire la toile pour recharger les batteries en allant se reposer, mais ce n’est pas idéal en compétition !
Votre petit groupe ne se quitte plus avec Boris Justine et Sam : c’est stimulant de naviguer à plusieurs ?
Je me suis fait deux océans avec eux, c’est vraiment cool de naviguer à plusieurs. J’espère maintenant revenir sur Boris et Justine quand on se sera fait rattraper par le vent. Avec Sam, on ne s’est pas quittée depuis l’équateur quasiment c’est hyper stimulant et très rassurant aussi. Plus ça dure et mieux je me porte ! Et pour finir, je suis assez fière d’être au coude à coude avec eux, je n’ai pas à rougir de ma place, donc c’est top.
Comment s’annoncent les prochains jours ?
Pour le moment, je me projette essentiellement sur la grosse « prune » qui va nous tomber sur le coin du nez sous l’Australie, pile sous la Tasmanie, d’ici 3 à 4 jours. Il y a 60 noeuds en rafales et 6 mètres de houle annoncés, ça s’annonce coton ! Je ne sais pas si dans le groupe, on va tous appréhender ça de la même manière. Voilà ma préoccupation du moment, qui suscite moult questions ; je ne sais pas si cette dépression aura le même comportement qu’une dépression en plein milieu de l’océan. Il y a peut être des accélérations à prévoir… Je risque de vivre 24 heures assez chaudes. Donc j’ai pas mal d’interrogations à ce sujet.
Pour que ce soit jouable, il faudrait se positionner à 150 milles derrière la position dans laquelle on va se trouver naturellement. Donc soit je ralentis, pour nous préserver le bateau et moi, mais le risque serait d’être rattrapée par le groupe de derrière… L’écart se réduirait considérablement : à peine une centaine de milles. Je vais y réfléchir. On n’y est pas encore, on verra bien ce que je décide de faire !