VOILE : VPLP Design et le Vendée Globe, entre victoires et innovations
40 marins prendront le 10 novembre aux Sables d’Olonne le départ de la dixième édition du Vendée Globe. Parmi eux, 13 (*) s’élanceront sur un Imoca conçu par VPLP Design (dont 9 en collaboration avec Guillaume Verdier).
L’occasion de revenir sur l’histoire entre l’agence d’architecture navale et la course en solitaire, démarrée lors de l’édition 2008, mais également sur les évolutions architecturales des Imoca.
2008 : Safran, le pionnier
Si l’histoire de VPLP Design dans la course au large a longtemps été liée aux multicoques, l’agence a décidé de franchir le cap de l’Imoca à l’occasion de la sixième édition, en 2008. “Cette implication a été motivée par l’arrivée de Marc Guillemot dans la classe, il avait envie de sortir des sentiers battus et a présenté à son partenaire Safran une nouvelle équipe de design, avec VPLP, qui avait une très grande expérience du multicoque océanique, et Guillaume Verdier, qui venait de passer une décennie aux côtés de Jean-Marie Finot et avait une bonne expérience de l’Imoca. Safran a été très attiré par ce côté innovant”, raconte Quentin Lucet, architecte associé chez VPLP Design.
Cette collaboration donne naissance en août 2007 à Safran, premier plan VPLP/Verdier (et d’un sistership, Groupe Bel), qui se distingue d’entrée par sa carène tendue, avec un bouchain très marqué, mais surtout par sa légèreté (7.5 tonnes). “L’objectif était de faire un bateau puissant et léger, d’où ce bouchain qui amenait de la puissance. Pour l’aspect légèreté, nous avions fait un gros travail sur la structure en collaboration avec Safran Engineering Services qui avait mis des ressources à disposition du projet”, explique Quentin Lucet. Déjà à l’époque, VPLP Design se projette vers de futures évolutions : “Sur Safran, nous avions commencé à essayer des dérives en C pour générer de la portance en gîtant, on peut parler des balbutiements du foil.”
Plans VPLP/Verdier conçus pour le Vendée Globe 2008 : Safran (Marc Guillemot, 3e), Groupe Bel (Kito de Pavant, abandon)
2012 : Macif, première victoire
La collaboration entre VPLP et Guillaume Verdier se poursuit en vue du Vendée Globe 2012, donnant naissance à quatre nouveaux bateaux, dont les sisterships Foncia (Michel Desjoyeaux, qui sera racheté par Banque Populaire pour Armel Le Cléac’h) et Macif, lancé un an plus tard pour le néophyte François Gabart, qui arrive de la classe Figaro. “C’était le premier bateau construit pour moi, se souvient ce dernier, j’avais eu la chance de côtoyer des gens qui avaient non seulement un talent assez extraordinaire, mais en plus l’habitude de travailler ensemble. Le binôme fonctionnait super bien, renforcé par la collaboration avec Mich (Michel Desjoyeaux) et son frère Hubert, qui dirigeait le chantier CDK.”
“Avec cette génération, on a essayé d’aller encore plus loin en termes de puissance, avec notamment une largeur max de 5,85 mètres, analyse Quentin Lucet. C’est aussi le premier bateau sur lequel on jouait avec la quille pour qu’elle aide le bateau à se sustenter. Nous avions enfin fait pas mal de travail sur la forme du pont, en aile de mouette, pour abaisser au maximum le centre de gravité et générer ainsi plus de puissance.” Le résultat est au rendez-vous, puisque les deux VPLP/Verdier de François Gabart et Armel Le Cléac’h, au terme d’un duel haletant, terminent aux deux premières places. “Ce bateau était franchement une réussite, conclut le vainqueur, il reste d’ailleurs toujours une référence, malgré les années”. Il est aux mains de Benjamin Ferré sur le Vendée Globe 2024.
Plans VPLP/Verdier conçus pour le Vendée Globe 2012 : Macif (François Gabart, victoire), Foncia (devenu Banque Populaire VI, Armel Le Cléac’h, 2e), Virbac-Paprec 3 (Jean-Pierre Dick, 4e), PRB III (Vincent Riou, abandon)
2016 : L’arrivée des foils et le doublé
La huitième édition du Vendée Globe est celle de la rupture architecturale avec l’apparition des foils sur les Imoca, proposée par le duo VPLP/Verdier. “Il y avait eu pas mal de discussions en 2013 autour de la jauge, avec la réduction du nombre de ballasts, le choix d’un mât et d’une quille standards, autant d’éléments sur lesquels on travaillait beaucoup pour la performance, explique Quentin Lucet. Ça nous a poussé à trouver d’autres solutions pour générer de la puissance, sans alourdir trop le bateau. La continuité logique dans le fait de chercher à ce que les bateaux se sustentent, c’était les foils.”
Logique, certes, mais il a fallu rassurer les clients, comme Armel Le Cléac’h, qui remporte le Vendée Globe 2016 sur l’un des six nouveaux VPLP/Verdier à foils lancés en 2015. “Quand la proposition a été mise sur la table, on a demandé à avoir un peu plus d’éléments chiffrés pour être convaincus, se souvient le skipper de Banque Populaire VIII. On a aussi fait de notre côté une campagne d’essais avec un Mini qu’on avait équipé de petits foils, ce qui a définitivement validé notre choix.” Preuve que le défi était osé, les architectes avaient dessiné des bateaux hybrides, capables de fonctionner avec ou sans foil : “Comme on n’était pas sûr que ça fonctionne, on s’était laissé la possibilité de revenir à une configuration plus classique, concède Quentin Lucet. Les foils étaient petits – ils pesaient 90 kilos, contre 300-320 aujourd’hui – et il y avait pas mal de phases où on comptait sur la carène et les ballasts pour générer du couple de redressement.” Les résultats seront cependant éloquents, avec deux plans VPLP/Verdier nouvelle génération aux deux premières places, faisant dire à Armel Le Cléac’h : “Il y a clairement eu un avant et un après.”
Plans VPLP/Verdier conçus pour le Vendée Globe 2016 : Banque Populaire VIII (Armel Le Cléac’h, victoire), Hugo Boss (Alex Thomson, 2e), Paprec St Michel (Jean-Pierre Dick, 4e), No Way Back (Pieter Heerema 17e), Edmond de Rothschild (Sébastien Josse, abandon), Safran (Morgan Lagravière, abandon).
2020 : Des bateaux qui volent et une troisième victoire
Les foils ayant fait leurs preuves, les architectes de VPLP Design, cette fois sans Guillaume Verdier, vont plus loin pour la génération suivante, en répondant aux demandes de skippers de bateaux existants de leur dessiner des foils plus grands et en orientant le dessin des nouvelles carènes autour de ces appendices : “On est vraiment passé du bateau à foils au foiler, confirme Quentin Lucet. Le premier à l’eau, Charal (lancé en août 2018), avait des foils presque trois fois plus grands que ceux de 2016 ! Je me souviens du premier Défi Azimut avec le tableau arrière qui sortait à un mètre de l’eau, on a complètement changé de monde en termes d’attitude.” La priorité est désormais de faire voler les Imoca, ce qui implique des carènes différentes : “L’objectif était de limiter la traînée. Ça voulait dire des bouchains moins marqués, des coques plus étroites et plus rondes, plus de volume à l’étrave et beaucoup moins de surface mouillée.”
Un an après Charal, sort un nouveau plan VPLP, Hugo Boss, pour Alex Thomson, avec une autre révolution, cette fois ergonomique, sous la forme d’un cockpit fermé. “Alex en était à son septième bateau et son cinquième Vendée Globe, il avait des objectifs clairement identifiés, comme celui d’être complètement protégé, il avait aussi souhaité des foils très typés pour le portant”, explique de son côté Antoine Lauriot Prévost, qui a rejoint VPLP Design après le Vendée Globe 2016. Au départ de l’édition 2020, tout le monde pronostique la domination de cette nouvelle génération de foilers : c’est pourtant un plan VPLP/Verdier de 2016, Maître Coq IV (ex Safran), mené par Yannick Bestaven, qui triomphe. “En dehors des avaries, qui sont le lot de tout sport mécanique, on n’a clairement pas vu la rupture technologique qu’on imaginait, concède Quentin Lucet. En théorie, on voyait des deltas de performances de l’ordre de 4 nœuds, mais ça a été complètement lissé dans les océans du Sud, les skippers n’arrivaient pas à exploiter le potentiel de vitesse de leur bateau en solitaire dans des conditions, de mer notamment, différentes de celles qu’ils avaient rencontrées lors des transats, la génération d’avant arrivait même à tenir un rythme plus soutenu.”
Plans VPLP conçus pour le Vendée Globe 2020 : Charal (Jérémie Beyou,13e), DMG Mori (Kojiro Shiraishi, 16e), Hugo Boss (Alex Thomson, abandon)
2024 : remise en question et belles promesses
Si l’édition 2020 du Vendée Globe a ébranlé certaines certitudes des architectes, ceux-ci multiplient les échanges avec les skippers pour mieux comprendre les points faibles des foilers dans les mers du Sud. Chez VPLP Design, on prend également la décision de naviguer davantage. Antoine Lauriot Prévost effectue ainsi en 2021 le convoyage retour de Hugo Boss depuis l’Afrique du Sud, il poursuivra par la suite avec deux transats sur Teamwork (ex Charal), en 2022 et en 2023. “On entendait beaucoup de skippers dire que les bateaux avaient tendance à piquer du nez dans la vague de devant ; au bout de mes trois semaines sur Hugo Boss, je n’ai plus eu de doutes sur là où il fallait mettre le curseur pour la carène de Malizia“, confie-t-il.
Ce qui veut dire concrètement ? “On a rajouté pas mal de rocker dans la carène, c’est-à-dire de courbe, pour que le bateau ait une attitude cabrée, permettant ainsi de redonner de la hauteur à l’étrave et ainsi de réduire, voire d’annuler complètement, les « arrêts buffets » dans la vague de devant.” Compte tenu du programme très dense de Boris Herrmann entre 2022 et 2024 (avec The Ocean Race au programme), l’accent est également mis sur la robustesse, donc la structure, tandis que les foils sont orientés vers plus de polyvalence. Enfin, l’ergonomie est au centre de nombreuses attentions, avec une géométrie inversée par rapport à nombre de bateaux, à savoir un cockpit juste en arrière du mât, prolongé par la zone de vie. “En plus de mieux centrer les poids, le cockpit avancé permet d’avoir plus de hauteur sous barrot, donc de tenir debout, ce qui est un gros plus par rapport aux cockpits dans lesquels les marins sont pliés en deux. Et le fait d’avoir une zone de vie plus reculée la rend un peu moins inconfortable”, commente Antoine Lauriot Prévost.
Boris Herrmann ayant souhaité une mise à l’eau dès l’été 2022, ces choix ont eu le temps d’être validés, avec une victoire marquante sur la troisième étape de The Ocean Race, celle du Grand Sud, un record absolu des 24 heures en monocoque lors de l’étape entre Newport et Aarhus (641,13 milles, à 26,71 nœuds de moyenne), l’Allemand ayant par ailleurs terminé 2e de The Transat CIC puis de la New York Vendée en mai et juin 2024. De quoi aborder ce dixième Vendée Globe avec sérénité ? “Les résultats et le ressenti de Boris nous confortent dans nos partis pris, mais avec le Vendée Globe, on a appris à rester humble”, répond Quentin Lucet. Qui, avec toute l’équipe de VPLP Design, est déjà en train de travailler sur la génération 2028.
Plan VPLP conçu pour le Vendée Globe 2024 : Malizia-Seaexplorer (Boris Herrmann)
(*) Les 13 Imoca VPLP et VPLP/Verdier au départ du Vendée Globe 2024 :