VOILE : Kattan, une association pour développer le capital social des jeunes
Au départ de la Route du Rhum, le 6 novembre, l’IMOCA Kattan, skippé par François Guiffant, sera l’ambassadeur de l’association du même nom.
Fondée en 2021, elle œuvre pour ouvrir de nouveaux horizons à des jeunes issus des zones d’éducation prioritaires du Grand Paris en leur ouvrant les portes des entreprises.
La solidarité entre les gens de la mer est souvent montrée en exemple. Une valeur que certains ont aussi décidé d’appliquer à terre. Sur la Route du Rhum, le bateau Kattan, engagé dans la catégorie Imoca, et mené par François Guiffant, surnommé Fanch, en sera une belle illustration. Pas de sponsors sur la voile ni sur la coque. Juste un œil créé par l’artiste français JR.
Propriétaire du bateau, avec quelques amis, Pierre Lacaze a créé l’association Kattan en septembre 2021. Leur projet : utiliser leur réseau pour offrir à des jeunes des Zones d’Éducation Prioritaires du Grand Paris la possibilité d’effectuer des stages rémunérés dans des secteurs qui leurs sont traditionnellement difficiles d’accès : banque d’affaires (Transactions & Cie), production télévisuelle (Zag Company, Arthur World), galeries d’art (Perrotin, Dominique Lévy), tech et communication (Cloudreach, Agence 55, Brand & news, Mirakl, Ekie), droit (Howden Group) et bien d’autres (Zadig &Voltaire, Cosfibel, Nexity,…). « L’objectif est d’avoir un impact sur les choix d’orientation de ces jeunes, avance Pierre Lacaze. Leur faire comprendre que tout n’est pas joué d’avance. Nous essayons de faire en sorte qu’ils regardent leur avenir d’un œil nouveau et c’est ce qui rend l’œuvre de JR sur la voile du bateau si pertinente. »
Le choix du nom de l’association, Kattan, qui signifie « énergie » en wolof (dialecte parlé au Sénégal), n’est pas anodin. « Il a été choisi pour deux raisons, explique son fondateur. Il rappelle la volonté de l’association de faire appel à l’énergie de tous ces jeunes – elle est immense et sous exploitée – et aussi parce que LCM Commodities, sponsor du bateau Kattan pendant la Route du Rhum, travaille beaucoup dans le secteur de l’énergie. »
Pour cibler les jeunes les plus motivés, Kattan s’est appuyé sur le travail fourni par la Fondation d’entreprise Deloitte qui, depuis 2008, s’engage et agit en faveur de l’éducation et de l’innovation sociale et durable, « pour que des jeunes issus de l’éducation prioritaire puissent développer leur excellence personnelle, et choisir leur orientation et non plus la subir, détaille Guilène Bertin-Perri, déléguée générale de la Fondation Deloitte, également membre fondateur de l’association Kattan.
DES STAGES RÉMUNÉRÉS SUR LES BASES DU SMIC
Autre spécificité de ces stages proposés par Kattan : la rémunération. « En France, il n’y a pas d’obligation de rémunérer des stages de moins de deux mois, explique Guilène. Or nos stages sont parfois plus courts. Pour ces jeunes, le plus souvent boursiers, cette rémunération est précieuse. Ils peuvent mettre en avant auprès d’autres jeunes le fait de fréquenter des entreprises qui à la base leur semblaient inaccessibles et en plus d’être payés. »
68 STAGIAIRES DÈS LA PREMIÈRE ANNÉE
Pour sa première année d’existence, 68 jeunes ont ainsi pu bénéficier de ces stages. Maéva et Mareva, jumelles de 22 ans, ont fait partie de cette première « promotion » de Kattan. Stagiaires chez Deloitte et LCM Commodities, elles ont aujourd’hui décroché des alternances dans de grandes sociétés. « J’ai pris confiance en moi, explique Maéva. J’ai appris à travailler en équipe avec les différences des autres. Je me disais que comme je venais de ma petite ville d’Argenteuil, je devais chercher un petit boulot pour avoir une petite vie. Aujourd’hui, je vois grand, pour avoir un grand travail, et une grande vie professionnellement et humainement, en me rendant aussi utile aux autres. » « Avant, je me disais, je suis noire, je suis une femme, je viens d’Argenteuil, de la cité, ce monde de la finance des marchés n’est pas fait pour moi, poursuit sa sœur. Quand on nous propose ces stages dans des grandes sociétés, tu ne dors pas la première nuit mais tu mets toute ton énergie dedans pour apprendre, rencontrer des gens. Tu changes complètement ta vision. »
DES ENTREPRISES CONQUISES
« Après avoir travaillé des années, en tant qu’entrepreneur, nous voulons donner du sens à notre vie, explique Mélanie Gambier, CEO de la société Brand&News qui a reçu un stagiaire envoyé par Kattan, avant de l’embaucher en CDI. Le sens que l’on donne à sa vie, c’est le sens que l’on donne à l’humain, une valeur centrale dans une entreprise. Tous les jeunes qui sont inscrits dans ce programme sont motivés. Ils ont des envies, des passions et se sont donné les moyens de réussir. Nous leur apportons la connaissance, nous les aidons à grandir dans un métier mais ils nous apportent une richesse qui n’est pas calculable. Ils font grandir l’entreprise. »
Jérémy Zag, producteur de films d’animation et notamment de Miraculous Ladybug, a accueilli dix stagiaires et s’est déjà engagé à en recevoir le double l’année prochaine. « Ces jeunes doivent persévérer dans leurs rêves, n’avoir peur de personne. Ils doivent apprendre à s’aimer, à aimer leurs talents et leurs compétences, ne pas avoir peur d’être jugés et passer à l’action. Mon rêve c’est qu’ils comprennent que le vrai super héros est au fond d’eux, qu’il est caché derrière leur masque et qu’ils doivent casser ce masque ! » « En donnant à ces jeunes, on reçoit également énormément, insiste Pierre Lacaze. Ce n’est pas un sens unique. Les banlieues sont souvent vues comme un problème. Nous les voyons comme une partie de la solution au problème. »
LES MEMBRES DE KATTAN
Pierre Lacaze
« Kattan est inspiré de l’association newyorkaise First Workings. Nous essayons d’une part d’avoir un impact fort sur les orientations professionnelles de ces jeunes en leur permettant de se constituer un capital social – un réseau – qu’il puisse réutiliser et d’autre part, leur permettre d’apprendre les codes du monde de l’entreprise. Il y a des énergies et beaucoup d’intelligences qui ne demandent qu’à se déployer. C’est aussi très bénéfique pour les entreprises et les salariés qui participent au programme ; les retours sont unanimes. Il y a le temps et l’énergie investis bien sûr mais il y a en retour ce que ces jeunes donnent. Leur force de caractère, leur courage, leur intelligence sont une inspiration pour nous tous, pour nos propres enfants, et un rappel à l’essentiel. »
Didier Phitoussi
« Aider fait partie de mon ADN, de mon éducation — du fait, surtout, que j’ai grandi avec un frère trisomique. C’est le genre d’épreuve, dans une famille, qu’on ne peut pas surmonter sans un sentiment très fort de solidarité collective. Si nous avons réussi à faire front, c’est parce que nous avons su rester attentifs les uns aux autres et nous soutenir mutuellement, avec la conviction que tendre la main nous profite autant à nous-mêmes qu’à autrui : sans cela, on ne s’en sort pas. L’entraide est une force : j’ai hérité cette valeur de mon histoire familiale, j’ai essayé de la cultiver toute ma vie et, aujourd’hui, je la mets au service de Kattan : pour moi, c’est une évidence. Notre volonté est de montrer à ces jeunes que nous sommes avec eux, solidaires ; que nous reconnaissons leur formidable débrouillardise et leur volonté de s’en sortir ; et que, puisqu’ils le veulent, c’est possible. J’ai eu la chance, dans mon parcours, de connaître beaucoup de gens qui, pour certains, ont eu de belles réussites : je me suis permis de les solliciter pour nous aider. Je peux les appeler, leur dire : “J’ai besoin de toi, j’ai besoin que tu prennes ces jeunes”. Ils répondent tous à l’appel, c’est formidable !»
Eric Hazan
« J’ai souvent rencontré des jeunes talentueux et ambitieux mais qui n’ont pas eu les bons accès, à un moment de leur vie, pour pouvoir développer tout leur potentiel. J’avais envie de faire des choses pour eux. Même à petite échelle, il faut essayer de corriger cette inégalité du départ. Aujourd’hui je peux aider ces jeunes, leur ouvrir des portes, leur donner accès à des choses qu’ils n’auraient peut-être même pas envisagées avant. Quand un jeune de 16 ans va faire un stage chez Mirakl, une licorne dans la technologie, c’est incroyablement motivant et ça lui ouvre des horizons et le champ des possibles. »
Guilène Bertin-Perri, déléguée générale de la Fondation Deloitte
« Avec la Fondation Deloitte, nous travaillons depuis 20 ans dans les zones d’éducation prioritaire et c’est comme ça que j’ai rencontré les fondateurs de Kattan. Leur réseau nous a permis d’avoir un effet démultiplicateur. Ils ouvrent les portes des entreprises et ensuite on passe à l’action ! Nous avons réussi à établir une relation de confiance avec certains établissements scolaires. Nous travaillons beaucoup avec les CPE, les professeurs ou avec des associations comme EPDH à Villiers le Bel (Ensemble pour le Développement Humain) qui suit 300 jeunes par semaine en soutien scolaire. Ils connaissent bien les lycéens et nous orientent vers des jeunes sérieux qui jouent le jeu. Souvent, nous travaillons aussi directement avec les établissements scolaires et des professeurs qui ont confiance. Cela prouve la qualité de l’échange. Nous aimerions agrandir le cercle des établissements partenaires du projet. Nous espérons que la participation à la Route du Rhum nous permettra de les sensibiliser davantage.»

















