TRAIL : Golden Trail Series, programme de santé et lutte antidopage en synergie
Après l’officialisation de la disqualification de Mark Kangogo contrôlé positif à deux substances interdites par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA).
Nous avons souhaité donner la parole à Pierre Sallet, président de l’Association Athletes For Transparency (AFT), à l’origine du Programme de santé afin qu’il explique le rôle précis de ce Programme utilisé par les plus grandes courses de trail running au monde (Golden Trail Series, UTMB Mont-Blanc…) et de manière plus large dans le sport.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Programme de Santé et depuis quand il existe ?
Ce Programme est né en 2008 puis connu ensuite sous l’appellation « Programme Quartz ». Il a été implémenté à la suite d’une réflexion sur la santé des coureurs en trail running et a toujours été piloté par l’Association Athletes For Transparency (AFT), que je préside actuellement. Le Programme, qui s’appelle désormais simplement à juste titre, Programme ou Politique de santé, a pour principal objectif de nous assurer de l’aptitude médicale d’un coureur à participer à un événement de trail running. Pour cela, sur les événements sur lesquels nous intervenons, nous réalisons une série de tests médicaux, à J-30, J-1, pour obtenir un profil biologique de l’athlète, mais aussi à l’arrivée de la course des analyses en toxicologie, afin de détecter une prise éventuelle de substances interdites pour raisons médicales dans le cadre de cette politique de santé. Nous sommes ainsi à la fois dans la capacité d’interdire à un coureur de prendre le départ d’une course, de lui mettre un « no start », si nous estimons qu’il n’est pas apte médicalement mais aussi de le déclasser s’il n’a pas respecté les règles de la politique de santé qui interdit certaines substances. Nous nous basons sur une liste médicale qui contient un ensemble de substances que nous jugeons dangereuses pour la santé du coureur et donc que nous interdisons. Bien évidemment cette liste médicale contient l’ensemble des substances et méthodes de la lutte antidopage mais d’autres viennent en complément car présentant un danger avéré en trail running. Si nous détectons, a postériori, l’une de ces substances, nous estimons que l’athlète n’a pas respecté les règles de la course et s’est mis en danger et nous pouvons alors également le disqualifier pour non-respect des règles au même titre que s’il avait utilisé des bâtons alors qu’ils étaient interdits. Je tiens également à préciser que nous menons de très nombreuses recherches sur les sujets de la santé auprès des athlètes et que la force de notre association est de posséder un très gros réseau international. Nous travaillons avec les personnes et les structures qui ont le plus haut niveau d’expertise à l’international dans tous ces domaines, que ce soient des médecins, des scientifiques, des centres d’investigation cliniques ou des laboratoires. Nous nous appuyons uniquement sur des travaux scientifiques publiés et approuvés pour établir notre Programme.
Qu’est-ce qui vous différencie des instances mondiales de lutte antidopage ?
Les instances de lutte antidopage appliquent, comme leur nom l’indique, une politique d’antidopage, avec une liste de substances et méthodes interdites (comme la transfusion sanguine par exemple) et ils ont un seul objectif, celui de détecter l’usage de ces substances ou méthodes. L’objectif du Programme de santé est différent et consiste avant tout à protéger l’intégrité et la santé des athlètes. C’est pour cela que nous avons établi une liste médicale comprenant des substances additionnelles à celle de la liste de l’antidopage et qui sont avérées dangereuses dans le cadre de la pratique du trail running en compétition. Mais notre mission ne consiste pas à attraper les tricheurs – bien que nous sommes ravis de pouvoir contribuer à l’équité du sport – elle consiste à échanger avec les athlètes sur les questions de santé, et de les protéger quand ils ne sont pas dans la capacité de le faire eux-mêmes. On estime donc que si vous avez besoin de prendre un médicament qui peut être dangereux en course, vous ne pouvez pas prendre part à une compétition. Vous devez d’abord vous soigner et vous reviendrez ensuite à la compétition. C’est aussi pour cela que nous faisons réaliser l’ensemble de nos tests par la même personne tout au long de l’année et que nous sortons du schéma très protocolaire et rigide des contrôles antidopage, afin d’établir une relation de confiance avec les athlètes. Nous souhaitons qu’ils échangent avec nous sur leur santé, leurs questionnements, leurs doutes. Nous sommes là pour y répondre et pour les accompagner. Nous ne demandons jamais à un athlète s’il se dope ! Ce que nous voulons comprendre c’est comment certaines substances ont pu se retrouver dans son corps et si cela peut être lié à une pathologie ou à d’autres soucis. Et si l’athlète ne possède pas une explication claire et rassurante nous lui interdisons simplement de prendre le départ de la course pour des raisons de santé. À noter aussi que les athlètes peuvent consulter l’ensemble de leurs résultats médicaux sur une plateforme et bénéficient ainsi d’un contrôle médical régulier au travers du Programme de santé. De plus, nous souhaitons travailler en 2023 sur des contrôles plus poussés, suite à la demande de certains athlètes, notamment des athlètes féminines, afin de leur offrir un suivi médical d’une qualité encore supérieure.
Dans quels sports ce Programme est-il utilisé ?
Pour le moment, uniquement sur le trail running avec deux circuits majeurs qui l’imposent dans leur règlement : la Golden Trail Series, et l’UTMB Mont-Blanc. Nous avons également des organisations individuelles qui font appel à nous comme le Marathon des Sables ou le Festival des Templiers. Nous avons reçu d’autres sollicitations d’autres disciplines mais il est important de comprendre que nous sommes une association de loi 1901 régi par le droit français et que nous sommes bénévoles. Nous sommes donc pour le moment limités dans nos actions et ne pouvons pas répondre aux sollicitations des autres sports. De plus, nous aimerions dans un premier temps pouvoir installer davantage le Programme dans le trail running et quand tout sera mis en place et sera accepté par l’ensemble du milieu, nous pourrons nous orienter vers d’autres disciplines. Malgré tout, il est important de noter que l’UCI (Union Cycliste Internationale) a elle aussi adopté une politique de santé, qui n’est pas notre Programme, mais qui fonctionne exactement sur le même principe. En 2018, ils ont créé cette politique de santé avec une liste médicale qui ne comporte qu’une seule substance – le Tramadol – mais qui vient compléter les listes officielles des instances de la lutte antidopage. Cette substance rejoindra d’ailleurs officiellement la liste des interdictions de l’AMA en 2024… Mais en attendant, c’est grâce à cette politique de santé que l’UCI a pu disqualifier Nairo Quintana du Tour de France en raison de deux contrôles positifs au Tramadol, exactement comme nous aurions pu le faire en trail running avec le Programme de santé.
Quelle autorité avez-vous sur les athlètes ?
Sur les courses ou les circuits qui utilisent le Programme de santé, nous avons le droit d’interdire le départ à un athlète ou de juger qu’il n’a pas respecté les règles de la course en outrepassant la liste médicale. Pour autant, nous ne sommes pas concernés par le dopage… Nous ce qui nous intéresse ce sont les risques médicaux comme les thromboses ou les insuffisances rénales graves. Je prends souvent l’exemple du mont Blanc. Cet été, le risque était trop grand pour se rendre au sommet et tous les experts de la montagne le savaient et ont décidé de ne pas y aller. Pourtant, certaines personnes qui n’avaient pas les connaissances nécessaires tentaient quand même l’ascension. Aussi, les autorités ont dû fermer les refuges ! Nous c’est pareil ! Que l’athlète soit dopé ou malade, notre rôle consiste à le protéger et donc à l’empêcher de prendre le départ. Nous sommes dans une démarche médicale donc nous ne communiquons jamais sur nos résultats, si l’athlète souhaite le faire c’est à lui d’expliquer ou non pourquoi il ne prend pas le départ. Il est également important de comprendre que dans le cadre de l’antidopage, certains athlètes peuvent faire appel des décisions de suspension provisoires. Dans ce cas, ils sont autorisés à continuer de courir en attendant la suite de la procédure qui peut être très longue parfois. Dans le cadre du Programme de santé, nous pouvons malgré tout l’empêcher légalement de prendre part aux compétitions tant que la procédure n’est pas complètement terminée.
Quelle valeur juridique à ce Programme ?
Nous avons énormément travaillé pour rendre tout cela très simple sur le plan juridique. Nous travaillons dans le cadre des aptitudes médicales et nous sommes donc dans la capacité d’appliquer un « no start » pour des raisons de santé dès lors que nous avons un doute sur l’aptitude médicale du coureur. Encore une fois, nous sommes sur la même échelle juridique que l’autorisation d’utilisation des bâtons en course. Nous ne voulons prendre aucun risque avec la santé des athlètes et c’est la seule chose qui nous motive.
Une série privée peut-elle travailler directement avec les instances de l’antidopage ?
Pour répondre à cette question il faut comprendre tout ce qu’il est nécessaire d’avoir : un laboratoire accrédité – ça c’est assez facile –, une autorité de contrôle qui est une structure publique ou privée qui va venir réaliser le contrôle – ça aussi ça se trouve facilement – et surtout il faut une autorité de test ; c’est la structure qui décide de déclencher le contrôle. L’organisateur d’une série privée ne peut donc pas de lui-même décider de déclencher ce contrôle. Il peut en soumettre la demande à l’instance de lutte antidopage compétente, mais rien n’oblige celle-ci à l’accepter. Ainsi, si une série privée désire avoir des tests systématiques sur ses courses, elle n’a pas d’autres choix que de passer par d’autres solutions telles que les politiques de santé. Ce qu’il faut aussi comprendre c’est que sur les réseaux sociaux, certains tendent à opposer les politiques de santé et les politiques d’antidopage alors que les deux sont complémentaires et fonctionnent encore mieux en synergie. Il y a une importante collaboration entre le Programme de santé et les organisations antidopage. Nous leur laissons par exemple systématiquement nos espaces de contrôle quand ils se présentent sur une course, nous leur donnons la priorité sur les contrôles, nous les prévenons quand nous avons des profils anormaux qui apparaissent, et lors d’une procédure ils nous sollicitent également pour obtenir l’ensemble des éléments pertinents à l’avancement de cette procédure. Ceux qui tentent d’opposer les deux sur les réseaux sociaux ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent ! Il est également important d’avoir en tête que tout cela coûte aux organisateurs et il faut les féliciter pour ça ! Ça leur coûte économiquement, ça leur demande une logistique importante, ils prennent des risques aussi, mais il est primordial de soutenir ce qu’ils font car ils se battent pour leur vision du sport. Nous avons la chance en trail running d’avoir des organisateurs qui sont moteurs et il faut en profiter.
Si nous revenons sur le cas récent de Mark Kangogo, pourquoi n’a-t-il pas été contrôlé par le Programme de santé ni au départ ni à l’arrivée ?
Dans notre règlement nous contrôlons tous les athlètes du top 10 potentiel à J-30 et J-1 afin d’effectuer un profilage, puis le top 5 à l’arrivée en toxicologie. Lorsque ce top 10 a été établi, Mark Kangogo n’y figurait pas et il n’a donc pas obtenu de profilage en amont de la course. Mais nous avons également une règle : quand les instances de l’antidopage sont présentes, nous leur laissons la priorité sur le contrôle et nous refusons de réaliser un autre test sur l’athlète. Nous sommes conscients que cela signifie qu’il ne sera pas testé pour les substances additionnelles de la liste médicale, mais nous estimons aussi que cela permet de préserver l’équilibre de l’athlète. Pour nous, ça reviendrait à briser son équilibre psychologique de le tester deux fois de suite. On peut nous le reprocher, mais nous menons toujours nos réflexions pour mettre les athlètes dans un certain confort. Nous sommes un Programme de santé et dans ce cas précis, tester deux fois un athlète à l’arrivée d’une course irait à l’encontre de sa santé.
Pouvez-vous nous expliquer votre positionnement sur les AUT ?
Je rappelle que les AUT sont des Autorisations d’Usage à des fins Thérapeutiques qui permettent donc de potentiellement utiliser toutes les substances ou méthodes de la liste des interdictions de l’AMA. Un athlète peut donc dans le cas d’une pathologie et si on lui autorise l’AUT, prendre certains médicaments contenant une ou des substances présentes sur la liste des interdictions de l’AMA. Le souci c’est que certains athlètes détournent ces AUT et peuvent prétendre, par exemple, avoir une tendinopathie pour utiliser des glucocorticoïdes. Nous, nous ne sommes pas là pour juger si cette AUT est raisonnable ou déraisonnable. Ce que nous savons en revanche c’est que courir une épreuve de trail running sous corticoïdes c’est s’exposer à des risques multiples pouvant aller jusqu’au décès. Donc c’est non ! Les produits que nous interdisons sont dangereux dans l’usage du trail running. Prenez par exemple l’Ibuprofène : je ne sais pas si son usage est dangereux pour la pratique du tir à l’arc, mais en trail, lorsque l’on produit des efforts intenses, on peut subir une déshydratation sévère qui peut conduire à une insuffisance rénale grave. Vient ensuite la question des traitements chroniques comme pour l’asthme. Si vous avez un traitement chronique de ce type, notre politique est simple : vous poursuivez votre traitement tel qu’il est prescrit et que vous avez l’habitude de le prendre. Il s’agit alors de deux pushs de Ventoline (Salbutamol) le matin et ça s’arrête là. En revanche, au départ de la course, vous prenez votre Ventoline avec vous, mais si vous avez besoin de l’utiliser en course, c’est que vous êtes en train de faire une crise. Dans ce cas vous vous arrêtez et vous abandonnez. Si vous ne le faites pas, on le détectera à l’arrivée et on ne pourra plus considérer que cet usage a été fait dans le cadre d’un traitement chronique.
En tant que Programme de santé, intervenez-vous aussi sur certains profils, notamment féminins, présentant une maigreur extrême ?
Les troubles du comportement et de l’alimentation, comme l’anorexie, notamment chez les athlètes féminines, mais pas seulement, inquiète effectivement de plus en plus ces dernières années. On observe bien que certains athlètes n’ont pas un profil « sain » mais, paradoxalement, on touche là aux limites de notre Programme… Le Programme de santé se base essentiellement sur des marqueurs biologiques, or, l’anorexie est difficilement détectable dans le sang, même si on peut retrouver des carences. Mais c’est une vraie réflexion que l’on se pose depuis quelques temps : devons-nous nous baser sur d’autres indices, comme dans le mannequinat qui impose des valeurs références et refuse les filles avec des Indices de Masse Corporelle extrêmes ? C’est très complexe car nous n’avons pas encore trouvé la bonne solution et nous continuons de chercher. Je pense que c’est une réflexion qu’il nous faut mener de manière collégiale car si les bilans sont normaux, c’est compliqué d’exclure un athlète juste parce qu’on estime qu’il est trop maigre et que quelqu’un aurait dit qu’il ne mange pas assez le soir… Nous avons conscience du problème et nous souhaitons faire un pas de plus en 2023 pour traiter ces sujets autour de l’anorexie en apportant une réponse adaptée et continuer de protéger la santé des athlètes !
À propos
La Golden Trail World Series se définit comme le plus beau spectacle de trail running au monde ! Ce spectacle se déroule sur les plus belles courses de la planète en respectant des valeurs telles que la parité, l’équité, la transparence et l’honnêteté. Les courses ont été choisies pour leur caractère iconique dans le sport moderne. La série a pour ambition de promouvoir les coureurs de trail en tant qu’athlètes de classe mondiale et de mettre en avant la nature et les terrains de jeux magnifiques où ils ont la chance de s’affronter. Elle a également pour but de mettre en lumière la reconnaissance et la passion des fans comme un ingrédient essentiel du sport. Chacune des six courses a spécialement été sélectionnée pour le scénario, le défi, l’histoire et l’atmosphère qu’elle propose à chacun des coureurs et au public. Ce sont des courses que tout coureur rêve de courir un jour.
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